Actualité • 7 November 2022
Hugo Accioli interroge Henri Chapouthier, Responsable du Département Développement Durable et Clément Roussel, Responsable des Transitions Environnementales chez Icade. Après avoir présenté l'Ecobase du parc Icade Paris Orly-Rungis, ils en disent davantage sur les objectifs RSE de l'entreprise.
Hugo : Bonjour à tous les deux. J’ai fait appel à vous aujourd’hui pour aborder le sujet de l’Ecobase du parc Icade Paris Orly-Rungis, un dispositif qui vient aider à confirmer la place de leader d’ICADE en terme de responsabilité environnementale, tous secteurs d’activités confondus. Vous voulez peut-être introduire le sujet dans sa globalité pour commencer ?
Henri : Oui, tout à fait. Avant de parler de l’Ecobase, nous pouvons peut-être parler du contexte des déchets dans le tertiaire. Je pense que tout le monde a conscience que c’est un gros sujet environnemental au niveau global mais pourquoi dans le secteur tertiaire ? Je regardais à l’instant les chiffres de l’ADEME (l’Agence de la transition écologique). Le secteur du bâtiment et de l’immobilier est le plus gros pourvoyeur de déchets en France, avec aussi bien les déchets d’exploitation que les déchets et gravats liés aux chantiers sur les bâtiments.
Ici, nous allons nous concentrer sur la partie « déchets d’exploitation ». Quand les immeubles sont en exploitation, ce sont les déchets générés par ces immeubles-là et donc par nos locataires.
Ce qu’il faut retenir, et je laisserai Clément détailler là-dessus ensuite, c’est que les déchets qui sont produits par les immeubles de bureaux ou d’activités sont en majorité des déchets qu’on appelle « ménagers », qui ne sont pas dangereux à proprement parler. C’est les mêmes déchets qu’on a chez nous, c’est-à-dire du papier, des canettes, des mouchoirs, etc. Et aujourd’hui, on a les solutions technologiques, quand c’est bien trié, de tout recycler à 100 % ou au moins de valoriser cela sous forme d’énergie. Donc en fait, pour un opérateur immobilier comme Icade, l’enjeu est de s’assurer qu’on arrive à bien trier à la source (que les utilisateurs trient bien, que les sociétés de ménage maintiennent le tri, que les bacs existent bien pour que tout soit bien trié en sortie, mais aussi que derrière, tout soit bien valorisé.
C’est ce que Clément vous expliquera en répondant à la question : « Comment s’assurer que les utilisateurs (les locataires) aient le message, leurs résultats et faire en sorte qu’ils améliorent leur tri ? ». Mais avant de lui passer la main, on va parler du site de Rungis vu que le sujet est autour de l’Ecobase.
Hugo : Oui, très bien. Dites-nous-en plus sur cette fameuse Ecobase.
Henri : Concrètement il y a une loi qui oblige globalement les entreprises à trier 5 flux : le papier/carton, le plastique, le métal, le verre et le bois. Globalement, les entreprises aujourd’hui sont assujetties à trier leurs flux pour peu qu’ils existent évidemment. Si on ne fait jamais de verre ou de bois dans nos déchets, on n’a pas l’obligation de mettre une benne pour cela. Mais dès qu’on dépasse un certain volume, comme le papier en bureaux par exemple, cela devient obligatoire.
Il faut se dire qu’au sein des bureaux d’entreprises sur le parc de Paris Orly-Rungis, il y a une multiplication des bacs et des politiques de tri. Notre travail, ça va notamment être de s’assurer que derrière cela, suive en terme de tri et de valorisation. La grosse spécificité à Rungis c’est que, comme c’est un parc dont nous sommes propriétaire à 100%, nous avons pu installer une Ecobase directement sur place.
Hugo : Et pourquoi avoir fait le choix d’une Ecobase ?
Henri : D’habitude tu jettes tes déchets d’un immeuble de bureaux, puis il y a un camion Véolia qui passe et emmène ça dans un centre de tri à quelques kilomètres et c’est géré là-bas. Soit c’est trié, soit c’est enfoui, soit c’est revalorisé sous forme d’énergie en réseau de chaleur. A Rungis on s’est dit qu’on avait un grand local disponible et qu’on pouvait faire une Ecobase, visible, et qu’on allait pouvoir prendre tous les flux classiques et en faire des ballots bien propres pour les camions, voir même faire du « sur-tri » (séparer par exemple le plastique du métal sur les canettes). Tout cela permet de s’assurer que le tri des locataires soit bien respecté à la sortie mais qu’en plus cela soit sur-trié pour être mis dans les bons flux de traitement derrière.
Hugo : Et qui s’occupe de ce dispositif ?
Henri : C’est un prestataire qui s'occupe de l’Ecobase, ce n’est pas Icade. Ce prestataire sur Rungis c’est Semardel, un spécialiste des déchets comme peut l’être Véolia ou Paprec. Il assure pour nous les campagnes de collecte au pied des immeubles, de réunir les flux dans l’Ecobase, de sur-trier au besoin, mais aussi de gérer les collectes quand il y a des demandes d’enlèvements spécifiques (des palettes de bois par exemple qui ne sont pas des déchets que l’on voit tous les jours en entreprise).
En bout de chaîne, l’idée c’est que ces flux qui sortent de l’Ecobase après avoir été bien triés soient bien valorisés, parce que le pire pour nous ce serait d’avoir bien trié un ballot de papier par exemple, qu’il soit parti dans le bon camion, et qu’ensuite nous apprenions qu’il ait été envoyé en décharge en Asie ou où sais-je, comme on a déjà pu voir dans la presse avec d’autres entreprises.
Nous c’est cette traçabilité que nous demandons à Semardel dans nos reportings, dans nos contrats.
Donc on a des dialogues avec les locataires dans les comités environnementaux pour les informer de l’Ecobase et de ce qu’ils peuvent faire en terme de tri de déchets mais on a aussi des données de reportings par immeuble. Evidemment ceux de Rungis sont assez bons, même s’il reste encore quelques progrès à faire. Je vais laisser Clément commenter.
Clément : Sur la partie « contexte général », j’aurais aimé préciser qu’en plus de la loi sur les 5 flux, il y a une réglementation qui va sortir et qui sera valide à partir du 1er janvier 2025 pour instaurer le tri de 7 flux et non plus 5 (avec le plâtre et les fractions minérales en plus).
Henri : Oui effectivement, cette nouvelle règlementation va surtout concerner les entreprises de chantiers car on a vu que beaucoup d'entre elles triaient bien leurs feuilles de papiers par exemple mais elles se retrouvaient en parallèle à jeter le plâtre et le béton à la poubelle !
Clément : Et il faut noter justement que sur l’Ecobase du parc Icade Paris Orly-Rungis on répond déjà à cette future réglementation car il est possible de collecter ces déchets-là sur demande des locataires.
Hugo : Icade a donc anticipé cette réglementation sur la base du volontarisme. Une fois que la réglementation sera en vigueur, cette collecte deviendra obligatoire ?
Henri : C’est vrai qu’on ne l’a pas dit en préambule mais il faut se mettre en tête que légalement, le responsable du déchet c’est son producteur, du début à la fin de vie. Avant, la responsabilité passait d’un acteur à l’autre une fois qu’un bordereau de remise des déchets avait été transmis. Une fois le bordereau obtenu, les gens pouvaient s’en laver les mains même si les déchets finissaient par polluer une forêt en Indonésie ou ailleurs, mais maintenant ce n’est plus vrai car c’est la méthode du « producteur-payeur » qui a été gardée. C’est l’entreprise qui génère un déchet qui est responsable du bon respect de la loi, Icade propose des services pour l’aider dans ce sens mais on ne peut obliger personne à le faire.
Il faut comprendre qu’on ne fait pas cela pour courir derrière la réglementation - d’ailleurs on l’anticipe pas mal comme vient de le dire Clément - mais plutôt pour des raisons RSE (Responsabilités Sociétales et Environnementales). Cela fait longtemps que nous nous sommes attaqués à ce sujet-là, bien avant qu’il y ai des contraintes de 5 flux. Le déchet a un énorme impact environnemental. Rien qu’en gaz à effet de serre, les déchets représentent 10% du bilan CO² des bâtiments. Donc pour nous le moteur c’est l’impact environnemental. La réglementation elle passe derrière en voiture balais, pour les « mauvais élèves » en quelque sorte.
Si on prend l’exemple d’Open, le siège d’Icade, 100% des déchets sont valorisés ! Donc c’est faisable. Il faut juste en pousser certains à s’y mettre par le biais de certaines lois et réglementations.
Clément : Ces réglementations confrontent les entreprises à des risques d’amendes mais pas que. Il y a aussi les systèmes de taxes qui sont utilisés comme la TGAP (Taxe Générale sur les Activités Polluantes).En clair, il y a une taxe sur tous les déchets considérés comme polluants, une taxe qui va augmenter d’année en année justement pour forcer les producteurs de déchets à les valoriser plutôt que de tout jeter, mais aussi de réduire leurs quantités. L’impact économique qui va donc être de plus en plus fort devient également un moyen de sensibiliser nos locataires.
Et le dernier point pour appuyer ce que disait Henri sur le fait qu’Icade n’a pas attendu la réglementation pour avancer sur les déchets : chez nous, la partie « valorisation des déchets » est déjà inscrite dans nos objectifs RSE. Concrètement, l’objectif est de valoriser entre 2019 et 2022, soit en matière soit en énergie, 100% des déchets pour lesquels Icade est responsable. C’est pour cela que nous avons tout un tas de plans d’actions assez ambitieux là-dessus et surtout que nous sommes accompagnés par des prestataires comme Semardel ou Veolia car ce n’est pas faisable seul. Ils nous aident à nous assurer que tous les déchets non-recyclés soient valorisés, parce qu’il faut absolument qu’on arrête cette aberration qu'est l’enfouissement.
Hugo : Qu’entendez-vous par « déchets pour lesquels Icade est responsable » ?
Clément : Ce sont tous les déchets dont Icade à la maîtrise. Si le locataire a son propre prestataire de déchets, sa propre filière de valorisation, nous n’avons n'y pas la main donc on ne peut pas se donner des objectifs dessus. Mais par contre, ce locataire, on peut l’accompagner, lui proposer par exemple des audits « 0 déchets » sur ses locaux par exemple, pour avancer avec lui sur ce sujet. On ne pourra cependant pas faire de reporting dessus.
Hugo : Et quel est le pourcentage de locataires dont Icade s’occupe au niveau de cette prestation de déchets ?
Henri : Sur le parc Icade Paris Orly-Rungis, nous sommes responsables de cette prestation à hauteur de 100%, par le biais de Semardel qui collecte absolument tous les déchets de chaque immeuble.
Donc on peut facilement dire que d’ici 2022, nous voulons que 100% des déchets recyclables du parc Icade Paris Orly-Rungis soient valorisés, grâce à l’Ecobase.
Hugo : Pouvez-vous m’en dire plus sur les actions mis en place avec vos locataires afin d’atteindre cet objectif ?
Clément : On a déjà, comme le disait Henri, les comités environnementaux avec tous nos locataires ayant plus de 2000 m² de bureaux ou de commerces. C’est un échange annuel que l’on fait avec eux sur l’ensemble des indicateurs environnementaux (énergie, eau, déchets, etc.) du bâtiment dans lequel ils se trouvent. Nos locataires plus petits ne sont pas délaissés pour autant. Ils sont quand même en contact avec nos responsables d’exploitation, ils reçoivent aussi des guides de tri chaque année.
On a aussi les reportings déchets de Semardel sur Rungis, qui nous permettent de voir si chaque bâtiment est bon en terme de tri ou pas.
Hugo : Comment fonctionnent les reportings de Semardel ?
Clément : Semardel a des bacs étiquetés sur chaque bâtiment du parc, des bacs qui vont être collectés pour pouvoir jauger la quantité de carton trié d’un immeuble par exemple, ou encore la quantité de papier. Grâce à cela, on peut avoir une vision globale annuelle avec nos rapports Urbyn.
Henri : Dans le rapport Urbyn de 2020, on peut voir que 53% des déchets ont été bien triés par les utilisateurs du parc. Les 24% qui ont été brûlés (valorisation énergétique) et les 23% qui ont été enfouis se sont des déchets non triés.
Hugo : Donc même les déchets en valorisation énergétique sont des déchets qui n’ont pas été triés ? Ou alors ce sont des déchets qu’on ne peut tout simplement pas trier ?
Henri : La part des déchets qu’on ne peut pas trier est extrêmement faible. Ce sont les déchets organiques (les trognons de pommes, etc.), les mouchoirs utilisés, les plastiques fins, et c’est à peu près tout. En bureaux, quand tu réfléchis bien aux déchets que tu génères, la part de déchets recyclables peut monter jusqu’à 90%. Sur Open par exemple, tu peux trier tes canettes, tes bouteilles, tes gobelets, le carton et le papier et rapporter le verre en bas.
Et quand tu vois 53% de « valorisation matière » sur le rapport Urbyn, cela ne veut pas dire qu’on n’a pas su faire plus mais plutôt qu’il restait des choses à trier que les gens n’ont pas jeté au bon endroit tout simplement. Et je pense que c’est un message important à faire passer dans notre entrevue : il faut déminer l’argument que les gens nous sortent souvent « on ne tri pas parce que de toute façon derrière c’est mélangé et pas valorisé ». C’était peut-être vrai il y a 10 ans en arrière mais aujourd’hui c’est complètement faux.
Aujourd’hui, avec Clément, on sait que parmi nos locataires les plus assidus en terme de tri on retrouve Veolia mais aussi Pierre & Vacances, des entreprises qui approchent les 70% alors que la moyenne en bureaux est aux alentours de 40% de valorisation matière.
Hugo : Mais qu’est-ce qui explique qu’on ne brûle pas tous les déchets non triés ? Pourquoi en avons-nous enfouie 23% en 2020 ?
Henri : Les réseaux d’incinération des réseaux de chaleur ont surtout été dimensionnés pour les déchets ménagers des particuliers. Ils ont été faits pour brûler les déchets de chacun d'entre nous quand on est chez nous et qu’utilise des poubelles normales. Ces déchets de particuliers sont prioritaires pour être incinérés. Aujourd’hui, il y a des prestataires comme Semardel qui travaillent avec les réseaux de chaleur des différentes collectivités pour insérer des camions. On arrive quand même à brûler une partie mais actuellement on en a trop donc on ne peut pas tout brûler. Sauf que tout brûler n’est pas la solution non plus, attention. C’est certes mieux que d’enfouir ces déchets mais rien ne vaut de les recycler pour qu’ils aient une seconde vie.
L’objectif serait d’arriver à 90% de valorisation matière après avoir fait le maximum, trié tous les déchets possibles, et brûlé les 10% restants. Sans oublier que le « meilleur déchet » c’est celui qu’on ne produit pas. Cela veut dire qu’il faut aller vers moins de volume de déchets à la source, remplacer les gobelets jetables par des mugs, arrêter le suremballage, etc.
Mais pour cela aussi, la balle est aujourd’hui dans le camp de l’utilisateur.