Depuis bientôt une décennie, l’accélération des transformations que subissent la société et l’environnement bouleversent les équilibres écologiques. Les crises systémiques se succèdent dans un contexte mondial de plus en plus incertain. Les risques émergents, qu’ils soient climatiques, économiques, géopolitiques ou démographiques, obligent les compagnies d’assurances à repenser leurs modèles et à redéfinir leurs stratégies. Compte tenu de ces transformations, le secteur est confronté à des défis sans précédent qui l’invitent à repousser les limites de l’assurabilité. Il doit, pour des raisons réglementaires, sociales et éthiques, continuer à protéger les États, les individus et leurs biens, dans tous les secteurs d’activités.

Témoignage d’Anani Olympio Ph.D., actuaire certifié expert ERM CERA, département recherche et prospective stratégique, chaire Digital Insurance and Long Term Risk DIALog, Groupe CNP Assurances.

Le coût des catastrophes naturelles

Les catastrophes naturelles, exacerbées par le changement climatique, ont entraîné des pertes financières colossales pour les assureurs. Depuis 2001, les sinistres liés aux catastrophes naturelles ont coûté près de 50 milliards d’euros. Les événements climatiques extrêmes, tels qu’incendies de forêt et inondations, sont de plus en plus fréquents et intenses. France Assureurs, dans une publication de mars 2023, a alerté sur l’ampleur de la situation. Elle dresse les constats suivants : « En 2022, le nombre de nouveaux sinistres gérés a augmenté d’un million, atteignant 13,9 millions de nouveaux sinistres sur l’année, soit 38 150 par jour, dont 2 550 d’entre eux liés à des événements climatiques sur les habitations. La « facture climatique » à elle seule a atteint 10,6 milliards d’euros pour les assureurs, un niveau jamais vu depuis plus de vingt ans, avec notamment des épisodes de grêle intenses qui ont touché une commune sur deux pour un coût historique de 5,1 milliards d’euros. L’année 2022 est également une année record en termes de sécheresse : le coût du phénomène de retrait-gonflement des sols argileux s’élève à 2,9 milliards d’euros. Sur les trente prochaines années, ce phénomène pourrait voir son coût tripler par rapport aux trente années précédentes. » Le phénomène est un indicateur qui doit être pris au sérieux car, en France, une étude menée par le groupe d’assurance Covéa montre que les pertes liées aux risques de crues devraient augmenter de 130 % d’ici 2050.

 

Comment assurer la ville de 2050, où les risques sont plus forts, plus nombreux et imprévisibles ?

La tendance à l’envolée des devis d’assurance habitation devrait s’accentuer dans les années à venir. Cette conséquence est inévitablement liée à l’intensification attendue des phénomènes climatiques et environnementaux. Soutenant ces propositions, une étude américaine a estimé que 39 millions d’habitations aux États-Unis étaient menacées de perdre leurs assurances. À l’heure actuelle, rien ne présage d’une amélioration de la situation à court et moyen termes. Les acteurs doivent donc se préparer à faire face. Pour faire face à ces enjeux globaux et incarner leur raison d’être, les assureurs doivent revoir leurs modèles d’analyse, de détection, d’anticipation, de sélection, de gestion des risques et de tarification, pour éviter une augmentation drastique des primes.

La publication d’un cahier de la prospective sur les tendances et les risques émergents

Dans ce contexte général, CNP Assurances a publié en juillet 2022 un Cahier de la prospective sur les risques émergents à horizon 2035. Cette étude nous éclaire sur neuf tendances lourdes et identifie trente-cinq risques émergents. La première tendance analysée est celle de l’augmentation des événements climatiques extrêmes. Les risques associés à cette tendance sont de quatre niveaux. En premier, figure le risque de surmortalité des populations européennes âgées en raison de vagues de chaleur plus régulières. Ensuite, celui d’une exposition croissante de populations peu préparées et peu assurées à des événements climatiques extrêmes. Puis surgit le risque de forte vulnérabilité des populations vivant dans les territoires d’outre-mer, car elles sont particulièrement exposées aux événements climatiques extrêmes. À ceux-ci s’ajoute le risque lié à des difficultés croissantes d’accès aux assurances risques naturels pour les populations les plus précaires.

 

Les effets et les conséquences du changement climatique

Les effets du changement climatique sont indiscutables et bouleversent la vie quotidienne des citoyens. Selon les dernières informations de Météo France, l’année 2024 est en passe de devenir la plus chaude jamais enregistrée en France depuis le début des relevés réalisés en 1900. Les températures moyennes sur les six premiers mois de 2024 ont été exceptionnellement élevées, avec des anomalies thermiques significatives par rapport aux normes saisonnières. Les experts estiment que la hausse des températures relevées en 2024 pourrait surpasser le record enregistré en 2022, jusqu’alors l’année considérée la plus chaude, avec une température moyenne de 14,5 °C. En outre et en raison de l’influence continue du phénomène El Niño et des émissions de gaz à effet de serre qui contribuent à l’accélération du réchauffement, on estime à plus d’une chance sur deux que les scores de l’année 2024 atteignent ou dépassent les records précédents. Ces conditions extrêmes ont des impacts directs et de plus en plus marqués sur les régions, les villes et les habitats. Les répercussions sont multiples et les dégâts proviennent des fortes chaleurs (toitures endommagées, matériaux déformés, installations électriques détériorées, etc.). Les dommages sont également dus à la sécheresse (fissures majeures dans les murs, affaissements de terrain menaçant la stabilité des fondations notamment), ainsi qu’aux inondations et aux tempêtes (toitures arrachées, maisons inondées, mobilier détruit).

Les conséquences du changement climatique ont également des effets destructifs sur la santé des populations. Les récents rapports de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sont sans appel. 3,6 milliards de personnes vivent déjà dans des zones très sensibles aux bouleversements climatiques. On parle ici de la moitié de l’humanité. Or, entre 2030 et 2050, le changement climatique devrait causer environ 250 000 décès supplémentaires chaque année. Les États doivent par conséquent se préparer et renforcer la résilience des populations face aux défis d’approvisionnement alimentaire et de sécurité de l’eau et liés aux facteurs affectant la santé humaine ; sans oublier les menaces qui pèsent sur les systèmes de transport, l’immobilier et l’économie.

 

Les actions à engager par les assureurs, les populations et les autorités

Face à l’ampleur des dégâts déjà visibles et à venir, les actions à engager devraient être profondément structurelles et étendues, en particulier dans les secteurs des assurances qui protègent l’agriculture, l’énergie, les infrastructures critiques, les biens et responsabilités, la santé et la vie. L’évolution et l’amélioration des stratégies des acteurs passeront également par le recours aux travaux de recherches académiques et par le développement d’outils opérationnels pour l’évaluation et la gestion des risques.

En conclusion, les territoires, les populations exposées et les villes, en première ligne face aux risques climatiques, doivent anticiper, se préparer et s’adapter au nouveau paradigme climatique et environnemental. Les autorités locales sont de plus en plus sollicitées pour mettre en place des infrastructures résilientes et renforcer les politiques de gestion des risques. Les assureurs, quant à eux, doivent coopérer avec les pouvoirs publics et les associations pour développer des solutions d’assurance adaptées aux besoins spécifiques des zones urbaines et rurales. Ils doivent faire preuve d’innovation et de créativité pour naviguer dans ce nouvel océan de risques émergents. La transformation de leurs modèles et l’adaptation de leurs stratégies sont essentielles pour assurer leur pérennité, offrir une valeur ajoutée à leurs clients et repousser les limites de l’assurabilité. De manière concrète, les acteurs ont l’opportunité de voguer entre stratégies défensives et offensives. Ils peuvent diversifier leurs portefeuilles d’investissement pour minimiser l’exposition aux industries vulnérables. Ils ont aussi la possibilité de développer des partenariats avec des Insurtechs pour améliorer la modélisation des risques. Mais ils peuvent aussi, et plus que jamais, innover en proposant des produits de niche et en offrant des services de prévention et de gestion des sinistres.

 

 

Crédits-photos : Sveta / Helen/ Christian Wasserfallen / M. Ehlers

Voir aussi