Témoignage de Perig Pitrou, Directeur de recherche au CNRS, à la Maison française d’Oxford et au Laboratoire d’anthropologie sociale du Collège de France où il dirige l’équipe « Anthropologie de la vie ». Perig Pitrou est responsable scientifique de la chaire Ville Métabolisme, Université PSL. 

Paru aux PUF, son dernier ouvrage s’intitule « Ce que les humains font avec la vie ».

Les défis liés à l’intégration des villes dans les systèmes écologiques sont au cœur d’une réflexion interdisciplinaire, mêlant recherche appliquée et monde académique. Les concepts de « villes vivantes » ou « vivables » offrent une nouvelle perspective sur les projets urbains. On entend souvent que les humains devraient s’inspirer de la nature, mais cette idée néglige le fait que la nature est en partie façonnée par les activités des humains. Avant d’y puiser des solutions, mieux vaut comprendre comment ces activités génèrent des problèmes complexes.

Face à cet enjeu, les sciences humaines et sociales enrichissent les connaissances des sciences naturelles, de l’ingénierie et de l’urbanisme. L’anthropologie, par exemple, apporte une perspective comparatiste grâce à des enquêtes de terrain, réalisées dans les conditions de l’observation participante, explorant les façons de construire et d’habiter les villes. Les recherches menées dans un domaine en pleine effervescence, l’anthropologie de la vie, affinent en particulier la compréhension des relations avec le vivant. Dialoguant avec l’écologie, ces études examinent la coexistence entre humains et non-humains (animaux, végétaux, micro-organismes) dans divers contextes urbains – comme les jardins, friches, trames vertes de Berlin, Bombay, Londres ou Paris –, révélant des relations distinctes avec l’environnement. L’attention ne se limite pas aux dynamiques écologiques. Les techniques humaines pour protéger ou contrôler le vivant – ou s’en protéger – éclairent les facteurs socioculturels dans la création de milieux écologiques hybrides. Mettre en regard les projets de smart city et les tentatives pour développer des environnements contrôlés (comme à Masdar City ou dans le projet NEOM en Arabie saoudite) s’avère instructif.

 

Les indicateurs de qualité de vie affinés par l'anthropologie

Une réflexion sur les conditions de vie des humains s’impose également, par exemple pour connaître les obstacles à l’accès aux espaces urbains selon l’âge, le genre ou le handicap. Plus profondément, l’inégalité des vies humaines interroge les politiques urbaines ; par exemple, à Oxford, un écart de dix ans dans l’espérance de vie existe entre certains quartiers. En combinant mesures quantitatives et enquêtes qualitatives sur le bien-être subjectif, l’anthropologie affine les indicateurs de qualité de vie. Ce phénomène est lié à l’expérience individuelle, où se mêlent activités quotidiennes, souvenirs et sentiment d’appartenance, influençant l’organisation collective de l’espace.

Dans cette perspective, les représentations culturelles et religieuses et les activités rituelles jouent un rôle non négligeable. Tout en interagissant avec des êtres vivants, les sociétés humaines établissent des relations avec des êtres possédant le pouvoir de « faire vivre », comme les dieux, les esprits ou la nature. Des villes comme Mexico, Pékin ou Rome attestent du rôle central rempli par ces représentations dans l’organisation des espaces collectifs et la ritualisation de la vie collective.

Aborder de façon intégrative ces manifestations (écologique, technologique, socio-économique, culturelle) de la « vie en société » est au cœur des interrogations contemporaines sur la manière d’habiter le monde. Dans cette entreprise interdisciplinaire, l’anthropologie est une discipline clé pour décrire les villes telles qu’elles sont et aider à imaginer comment elles pourraient évoluer dans le futur.

 

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